La balle qui part. Pan. Les oiseaux qui s’envolent en piaillant. Pan. Le silence perturbant. Pan. Des archets qui usent les cordes des violons. Pan. Plus un son. C’est cet esprit malade qui s’avance. Ce sont mes pas qui font craquer les feuilles sont mes pieds. Je perturbe le religieux silence de la forêt. C’est moi. C’est de ma faute. J’ai pris une vie, encore. Une autre. J’ai laissé tomber ma vieille carabine encore chaude au sol. Je me sens tellement glacé que j’en ai les mains qui tremblent. J’entends mon souffle rauque. L’air qui s’échappe bruyamment de mes naseaux. Je me vois travailler. Essayer encore et encore. Je sens la frustration m’emporter. J’ai mal tiré. Je l’ai abîmée. Mon couteau a glissé. C’est de ma faute. Je me vois apprendre, tenter encore et encore, sans jamais parvenir au résultat que j’attends. Et puis ces mains qui tremblent. Les miennes. Elles s’agitent, imprécises. Elles commettent des erreurs. Encore une. Les unes après les autres. C’est trop tard. C’est raté, la peau est trop fine. D’un geste rageur, je débarrasse la table de travail de son contenu. Un bruit. Je me suis entendu hurler. Hurler après tous mes défauts. J’ai les mains pleines de sang. Toutes les deux rouges. Je me vois tacher tout mon atelier dans ma colère. Emporté. Frustré. Et puis il y a elle, cette idiote qui vient m’embêter alors que je me perds dans mes idées. « Va-t’en, tu veux ?! » Je n’ai pas pu me retenir de grogner. D’essayer de la chasser. Je ne veux pas qu’elle me remarque dans mon inutilité. Dans mon incapacité à gérer. Cette aventure. Cette situation. Frustration.

Je voudrais lui balancer quelque chose. N’importe quoi, pour qu’elle s’en aille. Pour qu’elle me laisse tranquille. Encore un peu. A nouveau. Je n’ai pas besoin d’elle. Pas pour le moment. Je n’ai pas besoin qu’elle vienne dans mes pattes. Surtout si c’est pour m’embêter. Surtout si c’est pour faire autre chose que m’aider. Et de toute façon, je n’ai pas besoin de son aide. Aucune nécessité. Je n’ai pas envie de lui devoir quelque chose. Pas la moindre petite chose. Ce serait admettre que j’avais besoin d’elle. Que je ne pouvais pas vivre seul pour l’éternité. Je voudrais lui balancer quelque chose. N’importe quoi pour qu’elle s’en aille. Je sens du tissu sous mes doigts. Quelques vieux tee-shirts qui traînent, dérangés. Je tourne la tête vers la lumière, alors que je fais un pas en arrière, pour m’éloigner. Soleil strié. Barreaux verticaux. Mon vieux bouquin, balancé sur le sol, gît un peu plus loin, éventré. Je réalise soudain que je ne suis plus à l’atelier. Je regarde l’univers qui m’entoure sans comprendre, presque hébété. Agacé. Voilà que mon cerveau vient de s’éveiller. Mes yeux glissent sur la brune en face de moi. Je me suis dit que je pouvais très bien lui envoyer ma pantoufle à la figure qu’elle ne s’en irait même pas. J’ai grogné un peu. Encore. J’aurais aimé que ça suffise pour qu’elle se décide à s’en aller. J’aurais voulu remonter un peu mon pantalon qui glissait de mes hanches. Trouver un tee-shirt à enfiler. Et quelque chose de décent, qui plus est. Je voudrais lui montrer autre chose que mon torse tatoué. Peut-être que j’aurais pu trouver le courage de m’habiller. L’envie de coiffer ma chevelure actuellement dérangée. Peut-être qu’on aurait pu croire à un gamin qui venait de s’éveiller.

« Qu’est-ce que tu veux, encore ? » que j’ai pratiquement aboyé. Peut-être un peu fatigué. Pas réellement remis avec ma cervelle égarée. La tête perdue dans mes rêves cauchemardesques. Et voilà que l’apprenti infirmière brunette, un peu idiote, décidait de s’y mêler. Voilà qu’elle décidait de venir m’embêter. Moi, je me suis contenté de grogner encore un peu. Vieux chien. Vieil ours. « Tu n’as personne d’autre à aller embêter ? Des tarés, j’suis sûr que y’en a plein de l’autre côté de la porte. T’as qu’à aller leur donner un peu de ton attention, à eux. Ils attendent que ça, des brunettes comme toi. » Des cheveux bruns qui lui tombent presque jusqu’aux fesses, des grands yeux bleus, un visage candide, et cet air parfois un peu débile qui ne semble vouloir la quitter. Il y avait des genres Úna par milliers. Mais aucune qui ne lui ressemblait vraiment. J’ai besoin de ma musique. D’une cigarette. D’une tasse de thé. Je voudrais retrouver le confort de mon atelier. Sa sécurité. J’ai détourné le regard, un instant. Les sourcils froncés. Et finalement, j’ai bondi vers elle, peut-être un peu sauvagement. En grognant. J’ai cherché à lui attraper un poignet, un bras, n’importe quoi. Même sa tignasse brune aurait fait l’affaire. Je voulais juste la traîner hors de là. Je laisse un grondement sourd s’échapper d’entre mes lèvres. Pour me faire plus menaçant encore. Pour qu’elle soit suffisamment effrayée, et qu’elle prenne ses jambes à son cou. « Allez, qu’est-ce que je t’ai dit ?! Dégage de là ! T’as envie de finir en trophée sur un mur, ou quoi ?! » Je hausse la voix. Je la pousse, loin de moi. Je gronde encore. Animal sauvage. Bestiole mal élevée, mal dressée, paraissant décidée à se rebeller. Au fond, je crois que même le cœur n’y est pas.